Le séminaire « Entre automatisme et automatisation des pratiques langagières : pour une nouvelle sémiotique du stéréotype »  est un séminaire international de Sémiotique coordonné par Juan Alonso Aldama (Université Paris Cité) et Maria Guilia Dondero (F.R.S.-FNRS / Université de Liège) et se déroulant à la Fondation de la Maison des Sciences de l’Homme – Maison Suger, 16 rue Suger 75006 paris, le mercredi de 13h45 à 17h.

(en distanciel sur Teams : https://tinyurl.com/seminaire2026)

La thématique du séminaire international de sémiotique de l’année académique 2025-2026 vise à discuter certains résultats qui ont émergé et/ou certains questionnements qui se sont imposés à notre attention pendant les deux années de séminaire dédiées à l’intelligence artificielle (IA) et la théorie de l’énonciation (2023-2024) ainsi qu’à l’intelligence artificielle générative (IAG), la traduction intersémiotique et la créativité (2024-2025). Il est notamment apparu que les textes produits par les IAG exigent que la sémiotique s’interroge à nouveaux frais sur la sédimentation des stocks discursifs et sur la dynamique qui permet de stabiliser autant que de diffuser ou renouveler les formes et les registres discursifs (praxis énonciative). En raison de ces réflexions, cette année de séminaire sera consacrée à étudier la manière dont se forment, durent et se dissolvent les stéréotypes discursifs, tant ceux qu’on retrouve dans le langage verbal que ceux qui habitent les autres langages. Ces deux sortes de stéréotypes ont comme source non seulement des habitudes, des règles, des grammaires, et des conventions, mais aussi des pratiques répétitives (dans les champs du travail, de l’apprentissage, etc.) qui sont devenues des automa0smes. Les stéréotypes sont également produits par des opérations
d’automatisation des langages et/ou d’autres pratiques (scientifiques ou de raisonnement, par exemple).
En effet, si les automatismes impliquent, d’un côté, des réactions corporelles, psychiques et culturelles qui caractérisent les espèces humaine et animale, et qui ont été finement étudiés en biologie, psychologie et psychopathologie, de l’autre, ils concernent les constructions langagières qui peuvent se stabiliser dans des formules et dans des formulations hautement reconnaissables (motifs, topoï ou stéréotypes). Ces productions discursives se révèlent très utiles – conditionnant même la communicabilité en tant que « lieu commun » – car facilement transportables et détachables d’un discours à l’autre. Contrairement aux motifs et aux topoï qui sont les points de départ de l’intertextualité et des réappropriations créatives circulant d’un domaine à l’autre, les stéréotypes ont été souvent relégués au second plan. On leur reproche d’appartenir à l’univers folklorique ou en tout cas au discours populaire, ce qui fait qu’ils occupent une place assez modeste dans la hiérarchisation des discours. Il n’en reste pas moins qu’ils ont toujours joué un rôle important dans le discours politique et dans le discours artistique. À la différence de l’art traditionnel qui répète des motifs construits collectivement, le discours de l’art « moderne » s’efforce à la créativité et considère les stéréotypes, produits au sein de son propre domaine ou provenant d’autres domaines, comme le lieu dont il faut s’éloigner pour produire du nouveau ou à partir duquel on peut construire des jeux de langage dans le cadre de poétiques valorisant la répétition, ainsi que la variation par exagération, déformation, etc.
Ces stéréotypes produits par des automatismes langagiers collectifs trouvent un écho dans les produits de l’IAG, à leur tour issus d’une histoire complexe d’automatisation du langage et du raisonnement dont la linguistique et la cybernétique ont contribué à établir les fondements. La formalisation et l’automatisation du langage ont porté avec elles un nouveau questionnement sur la normativité discursive (comment faire en sorte que la machine puisse s’adapter à des contextes changeants ?) et sur la possibilité de produire des textes plus ou moins stéréotypés ou originaux.
Aujourd’hui nous nous trouvons à un moment crucial de l’automatisation du langage, notamment en raison du fait que les modèles génératifs actuels sont capables non seulement d’imiter mais aussi de recombiner de manière plausible d’immenses corpus discursifs, en produisant des énoncés qui, bien qu’inédits, réactivent des structures stéréotypiques inscrites dans des régularités statistiques, ce qui bouleverse notre rapport à la notion d’intention discursive. De plus, les développements de l’apprentissage profond en vision par ordinateur et traitement du langage permettent de produire aujourd’hui des énoncés visuels et audiovisuels et de révéler des typifications et des tendances idéologiques dans le cadre de la traduction entre langages construits sur des topologies et des syntaxes différentes. Le cas de l’IAG est révélateur d’une nouvelle manière de (re)produire les discours stéréotypiques car chaque réponse obtenue de la part du modèle génératif est différente de toutes les autres réponses que nous pourrons jamais obtenir de ce même modèle, ce qui complexifie la manière d’entendre la stéréotypie. Elle devient ainsi une sorte de grandeur extensive régie par un système d’embeddings, ce système étant lui-même structuré par des lois statistiques.
La standardisation quantitative des contenus (linguistiques, visuels, socio-culturelles, politiques…) produit une automatisation croissante dans les différentes institutions du sens et donne lieu à une réification des formes de la signification. Cette standardisation interroge d’ailleurs la sémiotique à plusieurs niveaux : au niveau énonciatif, où l’automatisation de la production discursive fait apparaître l’écart entre le régimes personnel et impersonnel et au niveau de la syntaxe tensive, qui se joue entre devenir programmatique et survenir de l’aléatoire. Elle interroge en outre la sémiotique au niveau des modes d’existence, où l’on pourrait se demander jusqu’à quel point la sémiosis automatisante ne ferait que réactualiser, sur chaque occurrence, un même patrimoine de formes potentialisé. Chaque nouvelle actualisation réorganise-t-elle ce patrimoine à travers une nouvelle redistribution syntaxique et paradigmatique ? Comment, au niveau des modèles narratifs, la question de l’adéquation
des schématisations invariantes aux manifestations discursives singulières se pose-t-elle ?
Notre séminaire focalisera ainsi l’attention sur l’évolution des stéréotypes langagiers pris entre des automatismes biologiques, humains et culturels et des automatisations qui sont caractéristiques de la modélisation machinique des langages.

 

 

Programme

12 novembre 2025

Maria Giulia Dondero (Fonds de la Recherche Scientifique-FNRS/ULiège)

Praxis énonciative et stéréotypie stylistique dans l’IA générative

Juan Alonso Aldama (Université Paris Cité)

Automatisation, sédimentation sémantique et idéologie

 

3 décembre 2025

Pierre Cassou-Noguès (Université Paris 8)

La nouvelle étrangeté des stéréotypes

Federico Montanari (Université de Modène et Reggio Emilia)

Quelques réflexions sur les « réflexes conditionnés ». Entre socio-sémiotique, philosophie et anthropologie

 

10 décembre 2025

Igor Pelgreffi (Université de Vérone)

Automatisme, corps, apprentissage : quelques remarques philosophiques

Rossana De Angelis (Université Paris-Est-Créteil)

Écrire avec les IA génératives : vers une grammaire des stéréotypes

 

14 janvier 2026

Jacqueline Léon (CNRS)

Statut de la linguistique et de ses modèles dans l’automatisation du langage. Perspective historique

Jacques Fontanille (Université de Limoges)

Pratiques de stockage et d’extraction sémiotiques. Test : ChapGPT reconnaît-il les stéréotypes ?

 

28 janvier 2026

MaLeo Treleani (Université Côte d’Azur)

Redondance industrielle et automatisation machinique. Les effets sémiotiques de la

remplaçabilité

Niccolo’ MonO (Université de Turin)

Information : Plaie ou pli de la sémiotique ?

 

4 février 2026

Meghanne Barker (University College London)

Away with Nuance! Rejections of Realism on Stage and Screen

Carlo Vercellone (Université Paris 8)

Nouvelles formes d’exploitation et brouillage des frontières entre temps libre et temps de travail dans le capitalisme cognitif : le cas des usagers des plateformes des moteurs de recherches et des réseaux sociaux

 

11 mars 2026

Pierluigi Basso Fossali (Université de Bologne)

Pertinences stéréotypées et décoïncidences programmatiques : de nouvelles ruses pour une énonciation techno-poïétique ?

Marion Colas-Blaise (Université du Luxembourg)

De l’automate à l’automatisation et à la désautomatisation dans l’IA : computing évolutif et indétermination créative

 

25 mars 2026

Jean-François Bordron (Université de Limoges)

La dynamique iconique dans le renouvellement des formes et des registres discursifs

Denis Bertrand (Université Paris 8)

De l’usage, de ses produits, de son tempo

 

8 avril 2026

Aurora Donzelli (Université de Bologne)

Enregistering the revolution: The metapragmatics of sedimentation and subversion in Indonesian political oratory

Eitan Wilf (Hebrew University of Jerusalem)

Plus ça chat, plus c’est la même chose: What New Generative AI Technologies Share with Their Much Simpler Predecessors

 

15 avril 2026

Sémir Badir (F.R.S-FNRS/ULiège), Stéphane Polis (F.R.S-FNRS/ULiège), François Provenzano (ULiège)

Sur la mécanisation énonciative des pratiques de savoir

 

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